Hello,
Voilà ce que j’ai écrit à propos de ce tryptique exposé en Belgique l’année passée :
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flic.kr]
Nuit claire d’été,
Lune rousse embrumée,
Brise parfumée.
Genèse :
J’ai animé ( avant sa relance) un blog sous la forme d’une galerie photo pour lequel le fil conducteur était la volonté de développer l’esprit artistique des contributeurs. Je proposais tous les deux mois une citation de personnes plus ou moins connues en guise de thème. L’idée sous entendue invitait, en y participant, les auteurs à s’engager moralement à illustrer tout ou partie de la citation, reflétant ainsi sa capacité d’imagination mais surtout, sa sensibilité. Point important, aucune restriction n’entravait la démarche, que ce soit pour la prise de vue ou pour le tirage, ouvrant ainsi la perspective à un large éventail de photographes. Un des thèmes fut le suivant :
« Il semble qu’il existe dans le cerveau une zone tout à fait spécifique qu’on pourrait appeler la mémoire poétique et qui enregistre ce qui nous a charmé, ce qui nous a émus, ce qui donne à notre vie sa beauté. (Milan KUNDERA) « .
J’ai sans doute assisté au genre de scène représenté sans pour autant en avoir de souvenir précis. Cependant, mon intérêt pour certaines formes d’art asiatique, la lecture attentive de la citation et quelques vagues reminiscences de situations observées m’ont rapidement amenées à un contre-jour avec notre satellite en arrière plan. J’avais mon sujet.
Choix du support :
J’ai abordé les procédés alternatifs comme beaucoup via le cyanotype. Et puis, l’oléotypie m’a ouvert d’autres horizons, notamment avec la possibilité de moduler l’aspect de surface, passer de granuleux à soyeux, de pouvoir isoler le sujet en jouant sur les contrastes lors de l’encrage au pinceau.
Parallèlement, j’ai découvert les travaux d’Evi KELLER mettant en scène la transparence dans ses oeuvres :
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jeannebucherjaeger.com]
Mais également ceux de Laurent LAFOLIE avec ses portraits sur fils de soie :
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francefineart.com]
J’ai alors troqué le support papier pour le verre.Et là, ma professeure des beaux arts et son compagnon artiste peintre m’ont ouvert les yeux en me confrontant à un problème de taille. Pourquoi un support transparent, comment exploiter cette particularité, comment la mettre en valeur et surtout, comment poser le dialogue entre le sujet photographique et cette singularité ?
Ce dernier point représenta alors un obstacle immense que je pense n’avoir franchi que deux fois dont celui-ci :
Tg [
flic.kr]
Durant cette période de recherche, très creuse artistiquement, j’ai exposé avec mon école une série de treize oléotypes sous forme de kakémonos sur papier japonais. Les tirages ont été effectués sur un papier Kozo Awagami 42 gr marouflés sur papier Shiramine 110 gr. L’oléotypie nécessitant un papier gélatiné, ce dernier a tendance à tuiler en fonction de l’humidité ambiante. Le papier support Shiramine de 110 gr n’étant pas suffisamment rigide, la présentation fut acceptable le temps de l’exposition mais une fois enroulés, ils ont pris un mauvais pli irreversible. Fort de ce constat et pourtant fortement attiré par des papiers de plus en plus fins, j’ai cherché une alternative.
Il me fallait trouver le moyen d’utiliser ce genre de support dans un processus photographique tout en préservant deux paramètres essentiels, l’extrême légèreté et la transparence. Fort de ces impératifs, j’ai alors découvert ce procédé, cousin du VanDycke, le Sider-argent.
Chaque élément du triptyque est composé de trois feuilles. Les deux fonds en papier japonais Satogami de 80 gr, présente un juste équilibre entre souplesse et rigidité. L’aspect de surface n’a pas été choisi au hasard puisque il ressemble à du feutre. L’orientation des fibres est verticale afin de polariser la lumière et participer à amincir visuellement la présentation. La troisième feuille recevant l’impression photographique est un papier japonais Tengusho de 9gr. Ses fibres ne sont pas contiguës créant une multitude de trous entre elles.
La premiere feuille, grise, simule un cadre symétrique pour le kakémono central mais asymétrique par les deux extrémités. La seconde feuille, noire, structure le ciel nocturne. Autre élément à prendre en compte, le tirage en Sider-argent conserve une composante brune qui s’estompe sensiblement sur fond noir. Les deux feuilles de fond sont volontairement laissées libres sur le bas pour garder une certaine mobilité, le papier Tengusho étant, quant à lui, totalement libre en bas et semi-libre en haut. C’est une volonté qui s’est imposée d’elle même au fur et à mesure de l’élaboration du projet afin de recréer, dans la mesure du possible, une atmosphère estivale sous une légère brise. Une autre dimension, dont je parle en fin d’article, est également suggérée.
Réalisation des deux sujets :
Le contre-jour :
La branche de pin, sujet principal, est un élément d’un arbre surplombant la mer. J’ai travaillé le fichier numérique de manière à éliminer tout élément perturbateur. Ayant pris ce cliché en plongée, l’arrière plan étant principalement la mer, le travail ne fut pas trop fastidieux. Je ne vais pas revenir sur la procédure du Sider-argent décrite par ailleurs mais juste sur un point découvert en phase d’essais sans en avoir d’explication. Je sensibilise le papier avec un pinceau à poil très doux, de type pour le maquillage, le papier étant posé sur un film plastique. Je passe une première couche de sensibilisateur sur le plastique, j’y dépose le papier puis je fait un nouveau passage au pinceau chargé de sensibilisateur. De cette manière le papier, très fin est parfaitement enduit sur les deux faces. Une fois exposé, il s’avère que l’image sur le verso du papier est très nettement plus contrastée et dense que sur le verso ayant été en contact direct avec le négatif.
La lune :
Puisque la transparence est une des caractéristiques principales du papier utilisé pour le sujet en contre-jour, j’ai entrevu trois manières de figurer la lune.
- La première était d’utiliser une méthode de photographie alternative. L’oléotypie, en couleur, nécessitant de la gélatine, j’aurais été confronté au phénomène de tuilage du papier de fond noir de 80 gr. Les autres procédés alternatifs ne m’auraient pas permis d’obtenir les couleurs claires désirées.
- La seconde a été d’utiliser de l’encre taille douce de couleur que j’avais en stock. Avantage, quasiment pas de déformation du papier et obtention de couleurs éclatantes.
- Pour la troisième, utilisée pour des versions au format 20 x 25 cm sous passe-partout, un fil de papier japonais a sur-ligné les contours de la lune. J’ai ensuite teinté à l’aquarelle le fil en jaune/orange pour la lune et en bleu/gris pour un banc de brume cachant partiellement l’astre.
Si la présentation de la lune avec le fil de papier est plus douce, ce qui convient parfaitement à un petit format, le dialogue entre la branche de pin et l’astre manque de vigueur pour un grand format. L’inverse est vrai également, c’est à dire qu’une lune encrée sur petit format accapare la lecture et entre en concurrence, ce qui ne convient pas au projet.
Pourquoi un triptyque ?
Le format, relativement grand, vertical et présenté en kakémono était arrêté. Isolé sur un mur de faibles dimensions, il rempli l’espace et se suffit à lui même. J’en ai accroché un à la maison sur un pan de mur de moins d’un mètre de large. Il rempli l’espace en l’agrémentant harmonieusement.
Destiné à une exposition, j’ai tout de suite envisagé un triptyque. J’ai voulu conserver une ambiance similaire avec une lune blanche, sa couleur naturelle, une lune rousse visible lors d’une eclipse et enfin un quartier de lune. Sans avoir toutes les phases, j’ai trois situations caractéristiques.
En complément du processus créatif, il y a un aspect qui n’est sans doute pas flagrant en regardant ce tryptique. Depuis que j’ai découvert les procédés alternatifs, je cherche un moyen d’exprimer les silences. En musique et particulièrement dans le jazz que j’affectionne, les silences participent grandement au rythme que le musicien veut distiller.
Une musicienne, batteuse et compositrice en parle nettement mieux que moi, je la cite :
Anne Paceo : Le silence c’est du poids.
On trouve parfois, par exemple, des personnes qui en disent peu, mais qui peuvent vous toucher en trois mots.
Le silence c’est la musique aussi. Accepter de laisser le silence, c’est créer de la musique.
Mes musiciens préférés sont ceux qui jouent avec le silence. Ceux qui peuvent se montrer très économes. Ceux qui cherchent à réaliser des Haikus avec leur musique.
Accepter le silence n’est pas chose facile en vrai. Nous avons tous peur du vide. Lorsque l’on est musicien, face au public, imposer le silence et tenir l’assistance dans cette suspension est un tour de force.
Au fond, le silence donne de la valeur aux notes, du poids, du sens.
( Interview d’Anne Paceo dans Toute la culture du 14 mai 2018 ).
Et, étonnamment, j’aime à faire côtoyer mes travaux photographiques avec des Haikus. Ces courts poèmes, vont à l’essentiel.
Armand
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aboleo57.wordpress.com]
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libreinterpretationgp.wordpress.com]
Modifié 1 fois. Dernière modification le 26/05/24 18:13 par Armand.