Bonjour à tous !
Nous parlons donc du magazine « Réponses Photo », N°327, juillet-août 2019, en kiosque au moment où j'écris ces lignes (25/07/2019).
Tout d'abord, signalons sans détour que les six euro nonante-cinq que j'ai déboursés pour cet achat ont été très rapidement rentabilisés. Une fois n'est pas coutume, un achat-Foto fait par un amateur ne fut pas à fonds perdus, mais avec retour sur investissement.
Qu'on en juge : en pages 6 à 8, voici un bel article parlant des photos que notre Raymond-National avait prises pendant son service du même nom, au début des années 1960. Article avec présentation de planches-contact en page 8.
Grâce à la lecture du magazine, j'ai donc économisé les 35 euros du catalogue de l'exposition de ces photos, expo accrochée jusqu'au 30 janvier 2020 au Val-de-Grâce à Paris (75-F).
Et j'aurais même envie d'ajouter, mais là on dirait très vite que je suis de trop mauvaise foi (** note 1) : les images présentées en pages 28 à 34, à propos des rencontres d'Arles de cet été 2019, ne m'incitent guère à faire le déplacement pour assister à cette célèbre manifestation. Donc j'économise, en plus des 35 euros du catalogue cité plus haut, les frais de déplacement, de subsistance & divers droits à acquitter pour voir ces images en vrai.
Mais venons-en au cœur du débat, la première de couverture nous annonce un bel article sur l'usage de la chambre [sous-entendu : à film] grand format.
Ce n'est pas un mince entrefilet, c'est un solide dossier de vingt-huit pages, où ne sont insérées que trois demi-pages de publicité, deux demi-pages pour une célèbre boutique du Boulevard B. que nous aimons bien, et de l'auto-publicité pour la version numérique du magazine.
La liste des photographes dont on parle dans ce solide dossier s'établit comme suit : Sally Mann, Cyrus Cornut, Franck Kunert, Benni Valsson, Antoine de Winter, Cyrille Weiner, Arnaud Teicher, Maura Henno et Éric Bouvet.
Mettons de côté l'article à propos de Sally Mann, ce n'est pas un entretien avec la photographe, c'est une intéressante analyse de son travail [que je ne connais pas], analyse qui replace Sally Mann à la fois dans la grande tradition étazunienne du « fine-art-large-format », et à la fois en rupture avec cette tradition, jusqu'au scandale. Nous renvoyons plutôt nos lecteurs à l'exposition qui se tient en ce moment à Paris (75-F) au Jeu de Paume, place de la Concorde, jusqu'au 22 septembre 2019.
Viennent ensuite les autres photographes, des professionnels qui « font » un salaire en vendant leurs images, donc pas des amateurs-qui-rêvent, et qui expliquent pourquoi au moins une partie de leurs images est réalisée sur film avec une chambre grand format.
Des différentes personnes qui ont accepté de partager leur expérience de travail à la chambre, me sont les plus proches Cyrille Weiner (architecture avec une A/S F-line et un dos rollfilm 6x9) et Éric Bouvet que tous les galerie-photoïstes connaissent bien.
Parmi les auteurs que je ne connaissais pas, j'ai été très intéressé par le point de vue original de Benni Valsson (** note 2).
Benni Valsson se partage entre Paris (75-F) et l'Islande, et sa spécialité est le portrait. En page 49 du magazine sont montrées deux images représentatives de son travail. J'aime bien le portrait de famille avec le landau traditionnel et le chien, sur fond d'arbres.
Ceux qui connaissent un peu l'Islande savent que dans cette île de l'entre deux mondes, les arbres sont des raretés et cette quasi-absence d'arbres en Islande aujourd'hui nous rappelle à quel point la présence humaine peut bouleverser un écosystème : au cours des siècles, les Islandais ont consommé leur source naturelle de bois beaucoup plus vite qu'elle ne pouvait se reconstituer. On trouve aujourd'hui des arbres soit en ville, dans des jardins publics, soit autour des églises de campagne, ou en de très rares endroits naturels, ou bien les lieux sont très difficiles d'accès (Þórsmörk, aujourd'hui devenu un point de passage très touristique, ou dans un coin de l'inaccessible Morsárjökull), ou en des lieux protégés par une règle sacrée restée inviolée (Ásbyrgi).
Faire poser en Islande une famille devant des arbres, on ne peut donc pas le faire n'importe où !
Concernant l'usage de la chambre grand format sur film, Benni Valsson explique qu'il y voit un grand avantage, c'est que les modèles ne peuvent pas réclamer à voir l'image immédiatement, du coup le portraitiste est moins influençable par le jugement de son modèle en cours de prise de vue. Il nous dit qu'avec la chambre « on est loin des effets et des modes ». Il apprécie « le passage du net au flou sans cassure, c'est tellement beau. » Cette dernière remarque mériterait qu'on essaie de voir pourquoi il en est ainsi, c'est un autre débat.
Et un autre point de vue totalement paradoxal pour ceux qui pensent que la possibilité de faire 50 images numériques sans surcoût est un grand avantage créatif « Ne pas voir apparaître la photo tout de suite permet d'oublier son intention au départ et de se laisser porter par le sujet pour explorer d'autres pistes.
L'écran numérique a parfois tendance à me couper l'envie, je me dis que cela ne rend rien et l'inspiration se bloque. » N'est-ce pas un point de vue totalement opposé à ce qu'on pourrait penser ?
Les images de Benni Valsson sont exposées à Vichy (03-F) dans le cadre du festival « Portrait(s) » jusqu'au 8 septembre 2019.
Parmi les idées souvent évoquées dans ce dossier très intéressant,
(je ne parlerai pas « d'argumentaire » en faveur de la chambre (** note 3)), il y a l'éloge de la lenteur, je n'y souscris pas.
Mais c'est sans doute parce que j'ai en mémoire certaines conversations avec Philippe Vogt, qui me disait « Vous comprenez, quand vous avez un travail, il faut aller vite. »
Même chose avec le prétendu avantage d'avoir l'image renversée sur le dépoli pour rendre la composition plus abstraite, que sais-je encore : n'ayant à ce jour pas dépassé le format 4x5 pouces, j'ai la possibilité d'utiliser le viseur binoculaire redresseur pour toutes mes images à la chambre, et je ne m'en prive pas.
Autre argument que je reçois fort et clair, mais que je n'ai encore jamais vécu : le capital de sympathie de la chambre sur son pied dans le public, et qui du coup rendrait le travail plus facile. Bon, ce n'est sans doute pas l'arme absolue, Éric Bouvet, dans l'article, peut témoigner de ce que la mise en place d'une 20x25 sur son pied, tout sympathique que soit l'appareil, près d'une manif' française un peu « chaude », ne protège pas forcément le photographe.
Citons enfin ce point de vue d'Arnaud Teicher, souligné par la rédaction de « Réponses Photo » en page 55 :
« Pour moi, le rituel est formidable : il nous oblige à attendre, et attendre, c'est désirer. »-----------------------------
Il y a sur 4 pages (dont deux demi-pages de pub' pour Cirque-Foto, c'est pour la bonne cause) un bon dossier de Philippe Bachelier sur le choix de la chambre, des objectifs et des accessoires. Je mets au défi le GP-iste le plus grincheux de trouver quoi que ce soit à redire dans cette excellente synthèse d'un auteur tant apprécié ici !
Et un excellent article sur la conservation des images anciennes ; entretien avec Gwenola Furic, conservatice-restauratrice à Redon (35-F).
Par ailleurs, on m'a rappelé qu'il y avait à Perpignan (66-F) un festival intitulé « Visa pour l'image ». Damned ! Comment ai-je pu oublier cela !
J'ai donc appris beaucoup de choses dans ce « Réponses Photo », N°327, juillet-août 2019, que je recommande vivement à tous nos lecteurs !!--------------------------------------------------
Notes de bas de page
(** note 1) concernant Arles, je dois être sous l'influence délétère du « Making Of » de Saint Ansel, à propos de son fameux portrait de Lartigue. De cette invitation à venir en France, probablement tous frais payés, Saint Ansel ne se rappelle que le gueuleton qu'on lui a servi dans « le Mistral », notre train rapide de luxe d'autrefois. Pour le reste, il trouve que son portrait de Lartigue est flou, et qu'en été dans notre bonne ville du Sud, désormais devenue photographiquement incontournable, la lumière y est nulle et qu'il y fait une chaleur insupportable.
(** note 2) Benni Valsson n'est pas un fils-caché islandais de Manuel Valls, car s'il en était ainsi, on l'appellerait Benni Manuelsson.
(* note 3) argumentaire en faveur de la chambre grand format à film : avez-vous déjà essayé d'argumenter avec une rivière pour lui expliquer rationnellement tous les avantages qu'elle aurait à couler plutôt en direction de sa source plutôt que l'inverse ? C'est ainsi que je ressens ce que peut être un argumentaire en faveur de la photo à la chambre, lorsque je vois nos contemporains abandonner l'appareil photo, fût-il numérique, pour le téléphone portable : c'est nouveau et c'est pratique, aujourd'hui tout le monde fait comme cela.
Cela dit, il existe à ma connaissance au moins un cours d'eau français qui change parfois de sens : c'est le canal de Savières (canal qui fut un jour parfaitement naturel) qui relie le lac du Bourget au Rhône. Mais le canal de Savières se moque bien de tous les arguments que vous pourrez lui donner, il est aux ordres du Rhône et du lac.
E.B.