15/06/2013 Art Basel
Dans l'un des bouquins techniques de René Bouillot au siècle figurait ce conseil :
pour que vos photos soient meilleures, allez voir des musées et des expositions.Soumis à une pression intensive venant de Bollwiller (68-FR), et relayée sans discontinuer en Franche-Comté depuis Offemont (90-FR) il était difficile de résister longtemps à aller à la foire d'art contemporain de Bâle (Art Basel
https://www.artbasel.com) en compagnie de ceux qui connaissent cet événement depuis sa fondation.
À l'entrée de la halle N°2 de cette Basel Messe récemment rénovée et agrandie, au moment où mon portefeuille s'allégeait de la coquette somme de CHF 40.-, j'avais un peu l'impression de revivre le sketch
« Bonjour les pauvres ! » qui faisait les beaux soirs d'une émission impertinente de la télévision française au siècle dernier
(eh oui, incroyable mais vrai, au siècle dernier la télévision du service public français avait quelques belles émissions impertinentes : comme c'est loin tout çà !).
Mais en sortant 7 heures plus tard de cette foire-exposition impressionnante à plus d'un titre, je me suis dit que, finalement, ramené à un taux horaire, c'était nettement moins cher et bien plus rigolo qu'une séance de cinéma.
Donc nous commençâmes par la halle N°2, celle où on parle de pognon sans détour. Certes la Foto n'occupe qu'une toute petite partie de ce lieu gigantesque, mais pour voir en un même endroit des tirages originaux de Richard Avedon (un exemplaire du « Dior chez les éléphants »), de Lewis Baltz (une série de « Park City »), d'Arnold Newmann (un exemplaire du fameux Stravinsky au piano) ou des Becher, je vois mal où aller qui soit si près de mon domicile, même Paris Photo est bien plus loin !!
Sous le vocable d'« art contemporain », il faut chez Art Basel comprendre : y compris tout le XX
e siècle, car étaient proposés à la vente par une prestigieuse galerie étazunienne rien de moins que 3 tirages originaux du Père Atget dont « L'enseigne de l'homme armé » qui est en première de couverture du bouquin Atget chez Taschen.
Donc, rapidement et de mémoire, quelques visions ; des Polidori de 1995, le fin du fin du travail en couleurs à la chambre, avec une vue qui ressemble à un Atget : un porche et un escalier d'une noble demeure française, absolument magnifique. De Polidori en 2007 un détail de tableau comme à Versailles, avec son cadre et la tenture du mur où il est accroché ; un image tellement nette et aux couleurs tellement claquantes et absolument sans grain, qu'on imagine quelque prise de vue numérique.
De l'école allemande contemporaine, nous n'avons point vu de Gursky, mais pas mal de Struth et du Ruff dont une image du genre 3 m sur 3 m à regarder en anaglyphes. Et bien entendu des tirages originaux des Becher, une belle paire de haut fourneaux en ruines et parfaitement sinistres comme les aiment les amateurs de veilles usines, deux images qui m'empêcheraient de dormir si j'avais cela accroché chez moi.
Je passe sur les oeuvres autres que photographiques, disons cependant qu'à la liste habituelle des abréviations techniques en usage sur notre forum comme N&B, PdC, CdC, MaP, il faudra rajouter une abréviation esthétique :
FdG pour désigner les joyeux F...ges de G...le dont les artistes contemporains sont encore aujourd'hui friands. Un siècle après
le carré blanc sur fond blanc de Kasimir Malévitch, on pensait cette veine épuisée : point du tout ! Car étaient exposés l'un à côté de l'autre rien de moins que deux rectangles de fil noir épinglés à même la cloison de bois servant à l'accrochage des oeuvres. Mais venir à une foire d'art contemporain sans y trouver des FdG, serait parfaitement inadmissible ; on est donc content d'avoir vu, entre autres : un pneu de voiture (neuf) et un appareil électrique de cuisson, bien abrité sous une cloche cubique en plastique transparent.
Sans plaisanter, j'ai admiré un magnifique bronze poli de
Jean Arp qui rappelle les splendeurs en bronze de Brancusi ; finalement quelque chose de très classique ; mais aussi des trucs vraiment hors du commun, comme un réseau de fils très fins organisé comme un cristal à maille cubique, cristal dont le motif élémentaire était formé de petites mouches genre drosophiles collées une par une. Un boulot suisse-de-précision incroyable !
Après la halle N°2 nous sommes passés dans la grande
halle N°1 de la Basel Messe, rénovée depuis l'an dernier par le cabinet d'architectes Herzog & de Meuron, avec son toit en métal déployé qui évoque irrésistiblement (du moins chez les persifleurs, pas chez moi) le couvercle anti-graisses de votre poële à frire, mais en plus grand et en plus raffiné.Le samedi on vient à Art Basel en famille, il y a une halte-garderie artistique pour les enfants, et au rez de chaussée, les volumes de cette halle sont suffisants pour pouvoir accueillir tout et n'importe quoi : monstres en tôle rouillée, structures en tissus, en fils, en tout ce que vous voulez ; accumulations diverses et variées de reliques de la société de consommation du siècle dernier, films sur pellicule projetés en boucle au sens propre du terme avec une grande boucle de film sur poulies faisant le tour de la pièce et jouant donc la même scène en boucle indéfinie avec une bande son du même genre ; vidéos marrantes d'images de synthèse évoquant le balancement d'un paquebot un jour de tempête, où tout le mobilier se balade joyeusement de droite à gauche etc ..
Bref cette halle N°1 était un joyeux b..el, un temple à la gloire des FdG de tous genres, qui méritait plus qu'un détour ; aussi fûmes nous surpris et heureux de trouver là, au milieu de tout ce f..oir, le travail parfaitement inattendu d'un photographe Indien,
Dayanita Singh (représenté par la galerie Frith Street à Londres, [
www.frithstreetgallery.com]) qui évoque irrésistiblement les images qu'Arnold Odermatt avait prises dans le bureau de police de Stans (NW-CH) dans les années 1960. Disons : un bureau de police de Stans qui se serait converti à l'hindouisme, transformé en une espèce de temple à la gloire des entassements de papier, un de ces édifices religieux mystérieux et foisonnants comme on les aime en Inde.
http://www.frithstreetgallery.com/artists/bio/dayanita_singhDayanita Sing a pris en photo les fonctionnaires des archives de diverses institutions indiennes, les personnages sont pris au milieu de montagnes de paperasses entassés de toutes les façons possibles et imginables ; entassements qui évoquent irrésitiblement la grotte du courrier en retard où Gaston Lagaffe avait creusé un abri secret, bien étayé.
Dayanita Singh nous propose de très beaux portraits N&B en format carré, très sensibles ; parfois un sourire radieux de telle ou telle secrétaire (Ach ! Le sourire radieux de la Sekretärin d'Odermatt !) prouve qu'elle n'est pas dupe. Parfois les fonctionnaires présentent un air très officiel et très sévère, comme certains gendarmes chez Odermatt, mais le portraitiste est toujours en empathie avec ses modèles. Bref un moment de jubilation au premier degré après les joyeux FdG de la halle N°1.
Chez Dayanita Singh, pas d'installation extravagante, simplement une accumulation d'images sagement accrochées en rangs d'oignons, répondant aux accumulations de papier que l'on peut voir photographiées ; au gré de la fantaisie de l'artiste, les images sont décrochées et raccrochées ; certaines en réserve sont rangées sur une étagère ; mais là nous sommes en Suisse alémanique, et nous n'avons point vu de tirages de réserve entassés en vrac dans un cagibi, la "réserve" était une belle petite étagère ouverte, d'apparence modeste, propre et en ordre. Mais en bois de Teck de Birmanie, cependant.
Nous terminâmes la journée pour un tour chez les maisons d'édition. Chez Taschen était mis en vedette le travail de Salgado « Genesis », dont l'honorable maison a préparé une édition monumentale et surdimensionnée, livrée dans sa caisse de transport en bois un peu comme une machine-outil qui doit voyager au-delà des mers. Un essai pour, ne serait-ce que décoller à peine, un coin de la caisse en tirant péniblement sur l'une des poignées s'étant avéré infructueux, nous nous sommes félicités, finalement, ne ne pas avoir apporté avec nous les quelques millliers d'euros nécessaires à l'achat de cette caisse que nous n'aurions pas pu transporter jusqu'à la voiture. La prochaine fois, nous penserons à prendre, en plus, le cash nécessaire pour que l'un des chauffeurs du service V.I.P nous coltine le truc jusqu'à une grosse berline allemande en faction juste devant la halle N°1.
E.B.Modifié 1 fois. Dernière modification le 17/06/13 14:04 par Emmanuel Bigler.