Picasso
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Picasso

Envoyé par François Duchamp 
Picasso
mercredi 29 novembre 2023 16:50:24
La une de GP publie un article de réévaluation de l’œuvre de Picasso qui tend à le dépouiller de la gloire qui reste attachée à son nom.
Sa vie privée est en effet jugée avec la sévérité dont notre époque fait preuve à l'égard des gens, des hommes bien trop souvent, qui abusent de leur force et manifestent un criant manque de respect pour les autres. On trouvera là sans doute matière à consensus. Mais à peu près aucun des grands artistes qui nous ont formé et ont formé l'art que nous vivons ne tient bon face à cette réévaluation, ni Molière, ni Bach, ni Claudel…

On peut ne pas aimer l’œuvre de Picasso, ne serait-ce que parce qu'il avait une piètre estime pour la photographie dont Brassaï se fait écho dans ses " Conversations avec Picasso ". Mais on peut ne pas aimer une œuvre et néanmoins en comprendre les ressorts. Je ne suis pas un grand amateur de musique sérielle, mais il ne me semblerait pas très lucide de dénier l'influence révolutionnaire que Schönberg a exercé sur l'histoire de la musique.

Il semble ainsi très étonnant de ne voir chez Picasso qu'un talent de caricaturiste. Je n'ai ni le temps ni les compétences pour entrer dans le détail, mais le travail qu'il effectue dans les vingt premières années du XXe siècle révolutionne tout un pan de l'histoire de la peinture. Loin des Kandinsky et autres Malevitch, il a toujours refusé de quitter le rapport à la représentation et c'est sans doute là que son apport aura été décisif. Apprendre à voir est précisément le fond de son travail. Il s'y consacre avec une force qui, en effet, dégage une certaine violence, qui est sans doute le propre de la plupart des très grandes œuvres (quel que soit le domaine, musical, dramatique, littéraire…), qu'on pense au Caravage ou à Delacroix. La révolution n'est pas non plus celle de Marcel Duchamp (avec lequel je n'ai pas de lien de famille) et Picasso ne s'intéressera jamais à la conceptualisation.

Il ne s'agit pas de reprendre pied à pied les arguments, mais je ne suis guère impressionné par l'accusation de vampirisme. Aucun artiste ne construit d’œuvre hors influence, pas même Matisse. Il me semble bien illusoire de penser que l'art doive exprimer une quelconque pureté personnelle. Shakespeare n'a eu de cesse de pirater d'autres auteurs, Hölderlin est imprégné de culture grecque…

Apprendre à voir est certainement un objectif de valeur mais il est difficile de penser que l'on peut atteindre un savoir définitif. Apprendre à voir est certainement le travail d'une vie où l'on ne cesse de s'apercevoir qu'il y a toujours une autre manière de voir, une autre perspective, une autre forme de perception du réel. Comme Sisyphe, il faut continuer à pousser notre regard et avancer, découvrir tout en sachant qu'il n'y a nulle part où arriver, qu'il faudra toujours avancer.

Alors avançons, découvrons et apprenons à comprendre pour, peut-être, apprendre à aimer. Car aimer est sans doute la grande force du travail de l'artiste.
Re: Picasso
mercredi 29 novembre 2023 17:43:03
François Duchamp écrivait:
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> La une de GP publie un article de réévaluation
> de l’œuvre de Picasso qui tend à le
> dépouiller de la gloire qui reste attachée à
> son nom.

De mon point de vue, cet article incite à réfléchir et non à glorifier ou à sanctifier.

>Sa vie privée est en effet jugée avec la sévérité dont notre époque fait preuve à l'égard des gens,
>des hommes bien trop souvent, qui abusent de leur force et manifestent un criant manque de respect pour les autres.

Picasso est loin d'être un type sympathique, c'était plutôt un tyran qui a détruit sa famille ...

Pour le reste, étant plutôt un adepte d'une lecture continue de l'histoire, y compris l'histoire de l'art, la lecture discontinue à travers les "grandes figures" ne me passionne pas vraiment ... Et je vais relire cet article ... ...



Modifié 2 fois. Dernière modification le 29/11/23 18:35 par Nestor Burma.
Re: Picasso
mercredi 29 novembre 2023 18:32:44
Bonjour
L'époque est au déboulonnage des grands personnages, c'est la mode, certains appellent cela la 'cancel culture'... cela passera.
Rappeler que Picasso ne soit pas un saint dans sa vie privée ne me semble pas être un argument valable pour accepter de voir réduire son œuvre à celle d'un caricaturiste. Mais il était macho le Pablo, c'est le pire péché de nos jours de bien-pensance... alors on doit le descendre. Post mortem, c'est plus facile.

Alors, Guernica, c'est une caricature ?
Re: Picasso
mercredi 29 novembre 2023 21:31:08
Merci François pour cette intervention intéressante
Re: Picasso
mercredi 29 novembre 2023 21:46:47
Ben oui, on continuera encore un moment à vouloir dissocier Picasso œuvre et Picasso artiste sinon les milliards investis dans ses œuvres seraient réduits à pas grand chose. La casuistique des milieux artitico-financiaro-spéculatifs se contorsionnera pour l'expliquer.
Canceller Picasso couterait bien plus que ne plus exposer Hamilton, on a toujours la morale à la hauteur de son portefeuille, on moralise si cela ne coute pas trop.
Re: Picasso
mercredi 29 novembre 2023 22:30:41
Bonsoir à tous
Très bonne analyse de François en écho à l' article qui a au moins le mérite d'engager une réflexion et des discussions loin des préoccupations pratiques.
Bien que l' époque ne s'y prête pas, convient-il de juger un artiste sur ce qu'il a laissé ou sur ce qu'il a été ?
Émettre un jugement sur l' un en se focalisant sur l' autre me paraît être un biais de raisonnement.
Si l' on se penche sur les biographies des peintres et des artistes, combien d'entre eux ont eu une vie irréprochable sur le plan de la morale de nos années 2020 ???
Personnellement, je pense que la vie privée de ces créateurs doit rester leur domaine personnel tant que leurs réalisations apportent de l' émotion, des nouveautés, une ouverture sur le monde et une réflexion qui nous aide à " grandir ".
Le temps fera le tri entre ce qu'il faut en retenir et ce qu'il convient d'oublier.
Bonne soirée.
Re: Picasso
mercredi 29 novembre 2023 23:40:27
Si je peux me permettre d’ajouter un bref mot à cette discussion, je dirais que ce qui me semble urgent, ici comme ailleurs, c’est non seulement de faire l’effort de voir, mais aussi de faire l’effort de lire (ici un texte ou une image, ailleurs une situation) avec rigueur et exigence. Réagir à un seul mot d’un texte de plusieurs paragraphes, c’est rester enfermé en soi-même, tout en ayant le sentiment de s’adresser à un objet extérieur. La réaction de Nestor Burma, « je vais relire l’article » me parait d’une grande sagesse. C’est la malédiction des réseaux sociaux mais aussi des forums comme le nôtre d’inciter à tirer plus vite que son ombre. Penser ne s’accommode pas de l’instantanéité. Il est des photos et des peintures qui n’ont toujours pas fini de dire ce qu’elles ont à dire après avoir été vues des dizaines de fois, nous en avons tous fait l’expérience…
Re: Picasso
jeudi 30 novembre 2023 07:45:03
"Canceller Picasso couterait bien plus que ne plus exposer Hamilton, on a toujours la morale à la hauteur de son portefeuille, on moralise si cela ne coute pas trop"

Picasso est un artiste, Hamilton, lui non plus

Cordialement,

ivan
Re: Picasso
jeudi 30 novembre 2023 21:41:43
L'article sur Picasso caricaturiste est intéressant et pertinent. Je suis d'accord sur le fait que séparer l'homme de l'œuvre n'a aucun sens, particulièrement en ce qui concerne Picasso qui se représente sans détour en personnage puissamment bestial dans son rapport aux femmes. Il n'y a donc dans l'œuvre même aucune séparation entre l'homme et l'artiste, l'éluder c'est donc faire preuve d'aveuglement. Convoquer d'autres "génies" aux vies condamnables selon les standards d'aujourd'hui (et certains d'hier) est un argument bien faible. Serait ce au fond une excuse ? Leur nombre permettrait de sanctuariser l'œuvre de la vie ?
Personnellement quand je regarde un belle œuvre la richesse de l'expérience doivent l'emporter sur les contingences sociales ou morales. L'art est, dans un mélange complexe à la fois dans la vie et hors d'elle. La monstruosité de l'homme parasite indéfectiblement l'expérience de son art, empêche toute possible élévation, et nous ramène irrémédiablement sur le plancher des vaches. Cette discussion en est la preuve si on peut dire. Nul besoin du recours à la cancel culture, cette menace brandie comme un épouvantail par les défenseurs de cette fameuse séparation, qui espèrent sans doute déporter le débat sur une critique de l'époque et de ses idées à la mode.
Là encore il faudrait être aveugle pour ne pas les voir venir...
Re: Picasso
vendredi 1 décembre 2023 00:41:22
Hum… L’une des choses qui parait indispensable, quand on cherche à comprendre, à réfléchir, c’est la nuance. Chaque fois que j’ai cédé à l’exécration et l’anathème, je l’ai regretté en constatant qu’au fond j’en disais beaucoup trop sur moi-même et beaucoup trop peu sur mon objet.

La question de l’homme et l’œuvre a été réglée par Proust dans « Contre Sainte-Beuve » et différemment par Barthes dans « Critique et vérité ».

Mais la polémique pointant son nez, je retourne à ma chambre…
Re: Picasso
vendredi 1 décembre 2023 01:03:15
François Duchamp écrivait:
-------------------------------------------------------

> La question de l’homme et l’œuvre a été
> réglée par Proust dans « Contre
> Sainte-Beuve » et différemment par Barthes dans
> « Critique et vérité ».

> Mais la polémique pointant son nez, je retourne
> à ma chambre…

Jeter des arguments d'autorité dans un échange n'avance effectivement à rien. Quant à vos considérations sur une éventuelle "polémique", ça fait un peu pompier-pyromane.
Bonne nuit !
Utilisateur anonyme
Re: Picasso
vendredi 1 décembre 2023 08:21:58
La question qu'on peut se poser à propos des œuvres d'art, c'est "a quoi sert la critique" en dehors de la contribution au "marché" de l'art.
Pour ma part je m'intéresse d'abord à l'œuvre elle même et m'informe ultérieurement de la biographie de son auteur, si cela est nécessaire.
J'aimais CARAVAGE bien avant de lire "La course à l'abime" de Dominique Fernandez et donc de connaitre sa vie et cette connaissance n'a pas changé mon opinion sur les peintures de CARAVAGE, elle m'a juste permis de mieux comprendre certains points sans altérer mon admiration.
Mais c'est un roman qui a eu cet effet, pas une critique.



Modifié 1 fois. Dernière modification le 01/12/23 08:23 par zznortz.
Re: Picasso
vendredi 1 décembre 2023 13:09:13
Je ne pense pas que nous puissions séparer l'art de l'artiste, et nous ne devrions pas avoir besoin de le faire. Nous pouvons considérer une œuvre d'art comme l'aspect transformé ou racheté d'un artiste, et nous émerveiller du voyage miraculeux que l'œuvre d'art a parcouru pour arriver à la meilleure partie de la nature de l'artiste. La beauté peut peut-être se mesurer à cette distance qu'elle a parcourue pour naître à notre regard.
Le fait que de mauvaises personnes fassent du bon art est une source d'espoir. Être humain, c'est transgresser, nous pouvons en être sûrs au regard de l'arsenal législatif qui nous encadre, mais nous avons tous la possibilité de nous racheter, de nous élever au-dessus des parties les plus lamentables de notre nature, de faire le bien malgré nous, de faire de la beauté avec ce qui n'en a pas, et d'avoir le courage de présenter au monde ce que nous avons de meilleur.
C'est aussi un appel qui affirme que ce monde mérite d'être sauvé, une articulation provocante de l'espoir. L'espoir réside dans un geste de bonté d'un individu brisé envers un autre ou, en effet, nous pouvons le trouver dans une œuvre d'art qui vient de la main d'un malfaiteur. Ces expressions de transcendance, d'amélioration, nous rappellent qu'il y a du bon dans la plupart des choses, et rarement seulement du mauvais. Une fois que nous nous éveillons à ce fait, nous commençons à voir la bonté partout, ce qui peut contribuer à rectifier le récit actuel selon lequel les humains sont de la merde et le monde est foutu.
Mais jouir de la souffrance de l'autre représentée par un artiste tortionnaire, c'est une relation qui organise et empêche toute rédemption, alors non merci.
Re: Picasso
vendredi 1 décembre 2023 19:26:10
On peut très bien apprécier l'oeuvre sans apprécier le peintre,on peut dire la même chose pour tout un tas d'artistes à commencer par celui qui a peint la Joconde,la liste est longue....
On ne devrait pas dire '' j'aime tel artiste'',mais plutôt ''j'aime l'oeuvre de tel artiste''.
Re: Picasso
vendredi 1 décembre 2023 19:48:05
J'ai l’impression qu'avant internet, on appréciait une œuvre pour l’œuvre.
Maintenant, tout est sujet à polémique.
Putain, mais que l'homme est con !!!

------------------------------------------------------------------------------------------
Tu pleures, et personne ne remarque tes larmes...
Mais pète, juste pour voir !
(Anonyme)
Re: Picasso
vendredi 1 décembre 2023 19:57:06
Ioury écrivait:
-------------------------------------------------------
> J'ai l’impression qu'avant internet, on
> appréciait une œuvre pour l’œuvre.
> Maintenant, tout est sujet à polémique.
> Putain, mais que l'homme est con !!!

[www.pariszigzag.fr]

[journals.openedition.org]
Re: Picasso
vendredi 1 décembre 2023 20:01:20
“Dans l’art, le peuple ne cherche plus consolation et exaltation, mais
les raffinés, les riches, les oisifs, les distillateurs de quintessence
cherchent le nouveau, l’étrange, l’extravagant, le scandaleux. Et
moi-même, depuis le cubisme et au-delà, j’ai contenté ces maîtres et ces
critiques avec toutes les bizarreries changeantes qui me sont passées
par la tête, et moins ils me comprenaient, et plus ils m’admiraient.

A force de m’amuser à tous ces jeux, à toutes ces fariboles, à tous ces
casse-tête, rébus et arabesques, je suis devenu célèbre, et très
rapidement. Et la célébrité pour un peintre signifie ventes, gains,
fortune, richesse. Et aujourd’hui, comme vous le savez, je suis célèbre,
je suis riche.
Mais quand je suis seul à seul avec moi-même, je n’ai
pas le courage de me considérer comme un artiste dans le sens grand et
antique du mot.
Ce furent de grands peintres que Giotto, Le Titien,
Rembrandt et Goya : je suis seulement un amuseur public qui a compris
son temps et a épuisé le mieux qu’il a pu l’imbécillité, la vanité, la
cupidité de ses contemporains. C’est une amère confession que la mienne,
plus douloureuse qu’elle ne semble. Mais elle a le mérite d’être
sincère.”

Pablo Picasso, lettre à Giovanni Papini, publiée en
1952
Re: Picasso
vendredi 1 décembre 2023 20:35:18
Un beau texte qui n'enlève rien ni au talent ni à la tyrannie du bonhomme
Re: Picasso
vendredi 1 décembre 2023 21:17:19
bellegarde écrivait:
-------------------------------------------------------
> Un beau texte qui n'enlève rien ni au talent ni
> à la tyrannie du bonhomme

Certains disent que c'est un vieux fake de Mr Papini ...
Re: Picasso
vendredi 1 décembre 2023 22:27:21
Et le Boronali ; ce ne serait pas un fake ?

Car peindre avec des mouvements de queues désordonnés un ciel évocateur, une mer justement dans le bas du tableau, etc. Cela relève du prodige. Ou alors Boronali plaçait la toile en fonction de la couleur du pinceau à tel ou tel moment de l'opération... Je ne pense pas que l'agitation ordinaire de la queue d'un âne ait pu produire la toile "Et le soleil s'endormit sur l'Adriatique".
Re: Picasso
samedi 2 décembre 2023 08:37:32
LB écrivait:
-------------------------------------------------------
> Et le Boronali ; ce ne serait pas un fake ?
>
> Car peindre avec des mouvements de queues
> désordonnés un ciel évocateur, une mer
> justement dans le bas du tableau, etc. Cela
> relève du prodige. Ou alors Boronali plaçait la
> toile en fonction de la couleur du pinceau à tel
> ou tel moment de l'opération... Je ne pense pas
> que l'agitation ordinaire de la queue d'un âne
> ait pu produire la toile "Et le soleil s'endormit
> sur l'Adriatique".

Il faut interroger les témoins de la scène ...
Re: Picasso
samedi 2 décembre 2023 09:57:20
Nestor Burma écrivait:
-------------------------------------------------------
> bellegarde écrivait:
> --------------------------------------------------
> -----
> > Un beau texte qui n'enlève rien ni au talent
> ni
> > à la tyrannie du bonhomme
>
> Certains disent que c'est un vieux fake de Mr
> Papini ...

C’est ce que dit Pierre Daix dans le livre « Pierre Daix des forteresses aux musées ; entretiens avec Jean-Frédéric et Marie Karine Schaub » paru en 2016 chez Albin Michel
ce trouve en e-book
Papini était expert en fausses confessions publiées en 1953. (« Le livre noir », Flammarion) ; est la suite de « Gog »)
il y avait entre-autres, celles de Dali et de Hitler

J.C.L.
Re: Picasso
samedi 2 décembre 2023 13:35:06
Aurélien écrivait:
-------------------------------------------------------
> Je ne pense pas que nous puissions séparer l'art
> de l'artiste, et nous ne devrions pas avoir besoin
> de le faire.

Ce que je voulais souligner, c'est qu'il n'est pas juste (au sens de justesse) d'apporter des réponses très simples, voire lapidaires, à des questions éminemment complexes. A défaut de revenir à Proust ou Barthes comme je l'évoquais plus haut (et ce n'était aucunement un argument d'autorité de ma part, c'était une référence qui dessinait une certaine forme de complexité, ce qui est tout le contraire), on peut jeter un œil à ce qu'en dit Gisèle Sapiro, directrice de recherches à l'EHESS, dans "Peut-on dissocier l’œuvre de l'auteur?", publié au Seuil il y deux ou trois ans. Cette sociologue montre avec précision pourquoi répondre en une phrase à cette question est illusoire. Et à défaut de lire son bouquin, on peut déjà se faire une idée avec une interview, par exemple : [legrandcontinent.eu]

Une autre chose m'étonne, c'est la volonté de jeter toute l’œuvre de Picasso comme si elle ne formait qu'un seul bloc. Je ne jouis pas "de la souffrance de l'autre représentée par un artiste tortionnaire" (ce qui en soi me répugne foncièrement) devant un pierrot de la période bleue, les Demoiselles d'Avignon, Guernica, les décors de 'Parade' ou la tête de cheval représenté par une selle et un guidon.

Enfin, j'en profite pour exprimer quelques autres francs désaccord : présenter le texte de Papini comme "une lettre de Picasso" n'est pas acceptable. Ce texte où un Picasso de fiction se présente comme un usurpateur, un faussaire de l'art, rejoint dans sa démarche le canular de Dorgelès et du tableau du prétendu Boronali : ils alimentent l'un et l'autre la thèse selon laquelle ce qu'on a appelé les avant-gardes du XXe siècle seraient avant tout des mystificateurs qui font n'importe quoi et appellent cela de l'art. Cet argument qui vise à déconsidérer des démarches qu'on ne comprend pas n'en est pas un, et il me paraîtrait souhaitable de l'oublier. Quand je ne comprends rien à une œuvre, même encensée par ailleurs (et cela ne manque pas !), je passe mon chemin.
De même : "La question qu'on peut se poser à propos des œuvres d'art, c'est "a quoi sert la critique" en dehors de la contribution au "marché" de l'art" jette une sorte de discrédit sur la critique, qui serait au mieux inutile. Il en va de la critique comme du reste, on trouve le meilleur et le pire. J'oublie volontiers le pire pour retenir le meilleur : J.-C. Lemagny, G. Bauret ou F. Soulages m'ont beaucoup aidé à élargir ma compréhension des pratiques photographiques que mon œil, seul, ne savait pas vraiment comprendre. L’œuvre ne se révèle pas (toujours) comme une épiphanie et regarder, ça s'apprend, comme le disait l'article originel sur Picasso.
Et en fin de compte, on pourrait, il faudrait, en photographes que nous sommes ou essayons d'être, discuter le terme de "beauté" qui désigne une idée qui depuis longtemps déjà, au moins depuis le Romantisme, a subi des transformations gigantesques et ne peut plus être pris comme une référence absolue… mais cela fera peut-être un autre fil !
Re: Picasso
samedi 2 décembre 2023 19:44:48
Je ne vous cache pas que je trouve qu'il y a ici une obscénité à convoquer Proust, Barthe, à se retrancher derrière des "directrices de recherches" à l'EHESS, qui posent des questions du genre "Peut-on dissocier l’œuvre de l'auteur?".
L'obscénité est, concernant Picasso, dans la transformation d'un drame humain en conversation de salon ou l'on fait étalage de ce qui tient d'un savoir ou d'une culture. Où, je cite : La question de l’homme et l’œuvre a été réglée par Proust dans « Contre Sainte-Beuve » et différemment par Barthes dans « Critique et vérité ».
Ce qui est, je le maintiens fermement, l'illustration exacte de l'argument d'autorité... Et de la conversation de salon, où au lieu de parler du sujet on préfèrera, car il s'agit bien d'une stratégie, de convoquer d'autres exemples sous la forme de liste de références littéraires ou académiques pour ne surtout pas parler du principal. Et surtout jamais on ne parle des victimes.

Alors parlons du principal.
Parmi les érotiques de Picasso il y a la série des "Minotaures & Dora Maar", les représentations montrent une sexualité brutale, littéralement bestiale, où l'homme-animal écrase la femme qui hurle.
Le seul dessin ne suffit pas à accuser l'homme, c'est Dora Maar qui l'a fait à demi mot avant son suicide, Françoise Gillot a été plus explicite : il les battait, séquestrait et les violait. C'était connu, mais comme d'habitude les gardiens du temple on suggéré que ces femmes étaient consentantes, trop honorées de vivre la proximité avec le génie etc.
Regarder ce travail, et plus largement regarder son œuvre à l'aune de son rapport à la violence, à la souffrance de l'autre et la jouissance qu'il en tirait, ne me permet pas de reconnaître et d'accéder à la moindre transcendance face à son travail.
La beauté telle que je la reconnaît, est à l'exact opposé de tout cela.
Mais chacun est libre, liberté relative certes, puisqu'il convient d'apprécier sinon de respecter Picasso.
C'est pourquoi je trouve le texte d'H. Peyre intéressant dans ce qu'il est ouvertement critique, même s'il aurait été préférable qu'il rentre un peu plus dans les détails.
Re: Picasso
dimanche 3 décembre 2023 01:16:11
Remarque finale : en évoquant les références que vous trouvez obscènes, je cherchais juste à mettre en évidence que des gens dont on n’a aucune raison de douter de l’intelligence ont traité cette question dans des ouvrages de centaines de pages et ont donné des visions autrement nuancées que l’exécution sommaire en deux lignes basées sur un podcast de 70 minutes.
L’indignation (en elle-même tout à fait compréhensible, je n’aurais pas laissé mes filles graviter autour de Picasso) ne devrait pas empêcher la réflexion, pas plus que la réflexion ne doit oblitérer l’indignation. Céline a écrit dès pamphlets antisémites qui sont des ordures infectes. « Le Voyage au bout de la nuit » n’en reste pas moins un chef-d’œuvre.

Chaque fois qu’on m’explique que penser est obscène, je frémis…
Re: Picasso
lundi 4 décembre 2023 18:58:50
Picasso? Pfffft. Un connard macho et un opportuniste qui a fait quelques tableaux intéressants. Bon, il y a Guernica, rien que pour çà... on va lui réserver une place dans l'Histoire à ce type...

Allez plutôt voir tant qu'il est temps l'expo de Van Gogh à Auvers au Musée d'Orsay, et prenez une grande claque dans la gueule qui vous remettra (à toutes et à tous) les idées en place, car une exposition de Van Gogh de cette envergure, comme le disait le "fou" Antonin Artaud a des implications sur la nature peinte, mais aussi non peinte. Allez voir, oui, allez voir et vous comprendrez car moi, petit spectateur, je ne peux que vous dire que j'ai été bouleversé.
Re: Picasso
mardi 5 décembre 2023 09:12:18
On tergiverse parce qu'il y a 60 ans, on acceptait qu 'un connard puisse se balader tranquillement et lui faire la courbette.
Maintenant c'est terminé, il aurait eu un juge d'instuction (à la vue des charges) au cul et probalement dormir à Fleury-mérogis.
Re: Picasso
mardi 5 décembre 2023 13:56:40
Si le poète latin Horace avait raison et si la colère est un accès de démence (Ira furor brevis), alors un « vent de folie » semble souffler sur ce forum.
Car il est frappant qu’une telle colère s’abatte sur Picasso cinquante ans après sa mort. Comme s’il était si dangereux qu’on ne pouvait vraiment se lâcher que très loin de lui. Cela fait un peu penser à la bravoure vengeresse des résistants et résistantes de la 25ème heure qui ont rétabli la justice en tondant quelques femmes coupables (ou prétendues coupables) d’avoir fricoté avec l’ennemi.
De quoi cette haine, cette némésis qui s’exprime sur un forum fréquenté, sauf erreur de ma part, par une très grande majorité d’hommes, est-elle le signe ? Ne serait-elle pas gonflée d’une vengeance contre son statut de star, la fortune accumulée, son aisance insolente et écrasante… ou peut-être que la vie privée de l’artiste donne enfin l’occasion à ceux qui détestent son œuvre d’exprimer enfin librement une opinion que la critique avait rendu inaudible… que sais-je ? J’ignore de quelle aigre rancoeur elle émane, mais je tremble toujours un peu lorsque les redresseurs de tort s’arment pour faire le ménage dans la rue ou dans l’histoire (de l’art ou pas).
Re: Picasso
mardi 5 décembre 2023 14:10:32
François Duchamp écrivait:
-------------------------------------------------------
> Si le poète latin Horace avait raison et si la
> colère est un accès de démence (Ira furor
> brevis), alors un « vent de folie » semble
> souffler sur ce forum.
> Car il est frappant qu’une telle colère
> s’abatte sur Picasso cinquante ans après sa
> mort. Comme s’il était si dangereux qu’on ne
> pouvait vraiment se lâcher que très loin de lui.
> Cela fait un peu penser à la bravoure vengeresse
> des résistants et résistantes de la 25ème heure
> qui ont rétabli la justice en tondant quelques
> femmes coupables (ou prétendues coupables)
> d’avoir fricoté avec l’ennemi.
> De quoi cette haine, cette némésis qui
> s’exprime sur un forum fréquenté, sauf erreur
> de ma part, par une très grande majorité
> d’hommes, est-elle le signe ? Ne serait-elle pas
> gonflée d’une vengeance contre son statut de
> star, la fortune accumulée, son aisance insolente
> et écrasante… ou peut-être que la vie privée
> de l’artiste donne enfin l’occasion à ceux
> qui détestent son œuvre d’exprimer enfin
> librement une opinion que la critique avait rendu
> inaudible… que sais-je ? J’ignore de quelle
> aigre rancoeur elle émane, mais je tremble
> toujours un peu lorsque les redresseurs de tort
> s’arment pour faire le ménage dans la rue ou
> dans l’histoire (de l’art ou pas).

En fait, on s'en fout un peu, Picasso n'est qu'un maillon parmi d'autres, l'individu est peu sympathique, mais pas moins qu'un Andy Warhol ou un Gérard Depardieu, le monde de l'art est peuplé de personnages antipathiques.

Quand à votre psychologie de comptoir,
Elle a encore moins d'importance, votre doux mélange, n'a aucun intérêt ...

Cet article nous invite à réfléchir sur la position sociale de l'homme et sa place dans l'histoire de l'Art, ce n'est pas de la sociologie de comptoir, votre prose, même en citant Horace, cela reste du caniveau ...



Modifié 1 fois. Dernière modification le 05/12/23 14:21 par Nestor Burma.
Utilisateur anonyme
Re: Picasso
mardi 5 décembre 2023 14:52:01
Voila le message destiné à tuer la discussion.
Pour une fois qu'un sujet lié à l'esthétique (comme le nom du forum) engageait un débat !
Il vaut mieux se cantonner aux "autres discussions"
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

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