Il y a aussi le Rouxcolor des frères Roux ...
1 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze Revue de l'association française de recherche sur l'histoire du cinéma Le cinéma en couleurs Le Rouxcolor : un procédé additif de reproduction des couleurs Rouxcolor: an additive process for the reproduction of colour Pascal Martin Édition électronique URL : ISSN : Éditeur Association française de recherche sur l histoire du cinéma (AFRHC) Édition imprimée Date de publication : 1 décembre 2013 Pagination : ISBN : ISSN : Référence électronique Pascal Martin, «Le Rouxcolor : un procédé additif de reproduction des couleurs», Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], , mis en ligne le 01 décembre 2016, consulté le 04 janvier URL : ; DOI : / Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. AFRHC
2 Le Rouxcolor : un procédé additif de reproduction des couleurs par Pascal Martin Rappels théoriques et historiques Afin de bien comprendre l intérêt du Rouxcolor, son aspect vraiment novateur pour l époque, il nous paraît nécessairederéaliser une incise technique quant à son principe. Quelques notions fondamentales concernant la couleur sont rappelées en préalable. Avant 1895 Dans son expérience de 1669, Newton a montré, en décomposant la lumière blanche au moyen d un prisme, que son spectre est composé d un mélange d une infinité de radiations produisant des sensations colorées très précises. Au moyen d un disque en rotation autour de son axe, contenant plusieurs secteurs colorés dont les surfaces sont proportionnelles aux différentes couleurs du spectre de la lumière blanche, Newton a également démontré la possibilité d en réaliser la synthèse. Si la rotation est suffisamment rapide, l œil perçoit simultanément toutes les couleurs, la sensation procurée sera celle d une teinte grisâtre assez clair, se rapprochant du blanc. Tous les procédés de reproduction des couleurs reposent sur le principe qu une lumière colorée quelconque, qui est pratiquement le mélange d un grand nombre de radiations de longueur d onde différentes, peut être décomposée en ses radiations constituantes par un prisme ; inversement, si l on superpose ces mêmes radiations, on obtient la couleur initiale, c est la synthèse. En 1857, Maxwell applique ce principe en photographiant un sujet simultanément par trois appareils, munis chacun d un filtre correspondant à une couleur fondamentale Rouge-Vert-Bleu. Les filtres utilisés sont des solutions liquides ; l émulsion au collodion de l époque demandait des temps de pose très longs. Les négatifs noir et blanc de sélection permettent de tirer trois positifs qui, superposés par projection, réalisent la synthèse. Les trois appareils de projection, munis chacun du filtre ayant servi à la prise de vues, doivent être identiques, objectifs de même distance focale, sources de lumière de mêmes caractéristiques. Afin d améliorer la reproduction des couleurs, Maxwell éprouve le besoin de faire une sélection supplémentaire en jaune, c est la quadrichromie, jugée superflue dans la théorie de Young, qui, le premier, a énoncé l hypothèse que la vision des couleurs repose sur l existence de trois récepteurs photosensibles différents, respectivement sensibles au violet, vert et rouge. Cette trivariance visuelle, prise au début comme un fait expérimental, a été mise en évidence au milieu du xix e siècle par Helmoltz et Maxwell. En effet, en 1861, Maxwell fait une conférence sur la théorie des couleurs fondamentales et montre la différence qu il y a entre la composition des lumières 205 É TUDES 1895 REVUE D HISTOIRE DU CINÉMA n o 71 HIVER 2013
3 colorées et la composition des couleurs pigmentaires, toujours à l origine de désaccords apparents entre peintres et physiciens. L un travaille en soustractif (la somme des couleurs jaune, magenta, cyan donne du noir), l autre en additif (la somme des couleurs bleu, vert et rouge donne du blanc). Les procédés actuels de photographie et cinématographie en couleurs sont basés sur la synthèse soustractive des couleurs, alors que le Rouxcolor utilise la synthèse additive 1. Le principe même de la sélection consiste donc à obtenir trois vues de la même scène. Sur une nature morte en photographie, il suffit de capturer du même point de vue les trois images, chacune sous le filtre qui lui convient. En cinéma, le problème est plus compliqué car le sujet étant en mouvement, on peut induire deux formes de parallaxes, l une temporelle, l autre spatiale. La parallaxe de temps fait que les images du sujet, diversement colorées, enregistrées à des instants différents, ne sont pas superposables si le sujet est en mouvement, d où la présence de franges colorées lors de leur superposition. La parallaxe d espace fait que les images enregistrées ne sont pas vues du même point, que le sujet soit fixe ou en mouvement ; elles sont donc différentes, bien qu enregistrées en même temps. Là aussi, leur superposition engendre des franges. Le schéma placé en figure 1 illustre cette difficulté. Après 1895 L objet de cet article n est pas de dresser un inventaire exhaustif des dispositifs de captures mais citons pour mémoire ceux qui ont été déterminants. En 1912, Léon Gaumont fit breveter le procédé Chronochrome, dont une caméra est visible au Conservatoire National des Arts et Métiers. Le Défilé de la Victoire en 1919 a été projeté avec ce procédé additif. D autres dispositifs comme le Som Opticolor, le Dugomacolor ou le Fig. 1 : Schéma de principe illustrant la parallaxe spatiale et temporelle pour le dispositif de gauche et parallaxe temporelle pour celui de droite. Source : schéma de l auteur. 1. Dans son cours à l ETPC ou École de Vaugirard (aujourd hui devenue ENS Louis Lumière) en 1993, le professeur Jean-Marie Guinot, qui avait participé en tant qu ingénieur opticien à la mise au point du Rouxcolor, précisait «Parmi les nombreux brevets qui ont anticipé le cinéma et qui concernent les procédés additifs, beaucoup sont restés au stade du laboratoire de recherches. Le plus ancien est dû à Charles Cros qui, le 2 décembre 1867, dépose à l Académie des Sciences de Paris sous pli cacheté intitulé Procédé d enregistrement et de reproduction des couleurs des formes et des mouvements, puis en 1874, Louis Ducos du Hauron prend un brevet pour un appareil permettant d obtenir les trois vues simultanément avec un appareil muni d un seul objectif. C est là un point très important, les trois négatifs de sélection doivent être pris d un même point de vue afin d éviter la parallaxe d espace et enregistrés simultanément pour éviter la parallaxe de temps», extrait du cours de physique du rayonnement ( ). 206
4 procédé Francita vers 1935 ont été autant de tentatives de résoudre les difficultés énoncées précédemment. Enfin, le procédé Technicolor trichrome (breveté en 1932) réunit les deux conditions imposées par tout système additif. Un objectif unique et un cube diviseur fournissant trois images de sélection impressionnées simultanément. Les trois négatifs sont tirés sur trois films positifs noir et blanc spéciaux dit «matrices» qui seront enduits d un colorant de couleurs complémentaires, le cyan pour la matrice correspondant à la sélection du rouge, le jaune et le magenta pour les matrices correspondant aux sélections du bleu et du vert. La décharge successive de ces colorants sur un support gélatine reproduit les couleurs du sujet comme en imprimerie. Il est l évolution logique du procédé Technicolor bichrome n o 1, vers 1916, système additif, disposant de voies l un pour un filtrage rouge et l autre pour un filtrage bleu vert. Le Rouxcolor Principes L originalité du procédé Rouxcolor, dont le brevet a été déposé en 1931, repose non seulement sur l obtention de prise de vues en couleurs pour analyse quadrichrome (bleu-vert-jaune-rouge) en projection additive, mais également sur une absence de parallaxe spatiale et temporelle. Cette possibilité est liée àla reprise directe de l image virtuelle 2. Pour des raisons financières et techniques, le procédé ne devient exploitable qu en Le Rouxcolor est un système optique qui intègre plusieurs éléments. Rappelons que le but est non seulement de décomposer la lumière suivant une méthode additive mais également de palier les problèmes de parallaxes spatiale et temporelle. Le schéma placé en figure 2 en donne le principe optique de base. L objectif de prise de vues L illustration représente le principe optique simplifié de l objectif Rouxcolor mis en corrélation avec la coupe de l objectif réel tel qu il a été dessiné en On compare donc un modèle gaussien à un modèle réel. Tous les éléments sont réduits à des lentilles minces sans aberration. On suppose un objet à l infini, les couleurs représentées ici n ont pas d autres fonctions que de dissocier les rayons de part et d autre de l axe optique [Fig. xxxvi, cahier couleur]. L objectif de tête O 1 est un objectif normal de caméra (sans diaphragme) interchangeable selon la focale désirée, c est le seul élément mobile du système. Il assure les fonctions classiques de mise au point par son déplacement axial. Cet objectif forme une image réelle aérienne du sujet, au format standard l6622 mm sur un verre de champ destiné à récupérer les rayons de bord du champ de O É TUDES 1895 REVUE D HISTOIRE DU CINÉMA n o 71 HIVER Il est intéressant de rappeler que dans la conception de l Hypergonar, pour le Cinémascope, le professeur Henri Chrétien a résolu le problème de l anamorphot d Abbe de cette géniale façon. 3. Voir infra l article d Alain Roux consacré à l histoire d Armand Roux et du Rouxcolor.
5 Fig. 2 : Schéma de principe illustrant le dispositif optique du Rouxcolor, avec les quatre images afin de résoudre les problèmes de parallaxe spatiale temporelle. L objectif de séparation est constitué de quatre blocs optiques possédant chacun un axe optique qui lui est propre. Source : schéma de l auteur. Fig. 3 : Alain Roux filmé par son père en Photogramme composé des quatre sélections chromatiques. Dans le sens de la lumière, l image fournie par O 1 est exactement dans le plan focal F 2 d un objectif O 2 dit collimateur dont le rôle est d envoyer cette image à l infini. Les rayons émergent donc en faisceaux parallèles. À la sortie du collimateur est disposé le jeu de quatre filtres de sélection quadrichrome (BVJR). Ces filtres en verre teinté dans la masse sont usinés avec grande précision. Chacun d entre eux est muni d un diaphragme indépendant permettant l équilibrage chromatique selon la sensibilité spectrale de l émulsion panchromatique utilisée. Viennent ensuite les quatre objectifs de sélection destinés à former les quatre images sur le film. Ces objectifs recevant l image envoyée à l infini par le collimateur sont réglés avec grande précision de sorte que leurs foyers soient dans le plan du film. Ces objectifs ne proviennent pas d un objectif coupé en quatre comme on a pu le lire dans certains articles de l époque. Il est indispensable de conserver le centre optique de chacun, les axes passant par ces centres déterminent les centres des quatre images. Cette subtilité est importante, car sinon, non seulement les problèmes de parallaxe apparaîtraient, mais, d un point de vue photométrique, les images n admettraient pas un éclairement uniforme. Ce sont des systèmes d une grande précision, ils sont apochromatiques, c est-à-dire corrigés de l aberration chromatique pour trois longueurs d onde et leurs distances focales doivent être le plus rigoureusement identiques. Dans le cas contraire, on observerait une variation de grandissement préjudiciable à la synthèse. Chaque image mesure 7,5 x 10,5 mm [Fig. 2, fig. 3 et fig. xxxvii, cahier couleur]. D un point de vue pratique, cela ne conditionne pas l utilisation d une caméra particulière, cependant la visée reflex, ce qui d ailleurs est assez rare à l époque, n est pas opérationnelle. Elle se fait donc par un viseur latéral comme on peut le voir sur la photographie en figure 4. Une des grandes particularités de ce dispositif repose sur la sélection quadrichrome, bien qu un modèle trichrome suffise pour expliquer la vision des couleurs. Le raisonnement fait au moment de la conception du dispositif avait été le suivant : dans le diagramme défini par la CIE, nous voyons que le 208
6 triangle constitué par les trois primaires d un système trichrome RVB rend impossible la reproduction des couleurs dont les points sont extérieurs à ce triangle. Le côté RV contient toutes les couleurs qu il est possible de reproduire par des mélanges convenables de rouge et de vert. Entre le rouge et le vert, figurent des points représentant les orangés,lesjaunesetjaunes verts. Ces couleurs ne sont pas saturées, alors que c est le domaine des couleurs où l œil est le plus exigeant. Le côté du triangle doit être le plus près possible de la courbe représentant les couleurs spectrales. Le jaune est une composante de presque toutes les couleurs que nous voyons dans la nature, il est évident qu une sélection dans cette bande de longueurs d onde ne peut qu améliorer la qualité d un procédé. C est d ailleurs, comme nous l avons dit, ce que Maxwell avait précisé dans sa théorie, cependant une des grandes difficultés a justement été de fabriquer un filtre jaune [Fig. xxxviii, cahier couleur]. La projection Fig. 4 : l objectif de prise de vues et ses têtes amovibles correspondant aux différentes focales, Source : collection Alain Roux. L objectif de projection est plus simple que celui qui ordinairement était dévolu à la prise de vues. Il est composé de quatre objectifs type Petzval groupés dans un fourreau dont le diamètre correspond aux normes des objectifs de projection qui peut être adapté sur tout type de projecteur. Une importante difficulté à l époque était due à l obligation de changer d objectif pour passer les actualités et le court métrage qui, eux, étaient projetés avec un objectif normal. Dans de nombreuses salles, les appareils manquaient de précision mécanique, il était difficile d assurer un réglage définitif de l objectif Rouxcolor. Il est également probable que les projectionnistes n avaient pas la dextérité ou la formation nécessaire à l usage de cette technique. Par ailleurs, les projecteurs étaient équipés de lanternes à arc, si le réglage du miroir était défectueux, les quatre images n étaient pas uniformément éclairées, une dominante de couleur apparaissait, l usure en sifflet du cratère du charbon produisait le même effet. Ce sont là les principales difficultés de l exploitation d un film en additif, ce qui justifie le tirage de copies sur films à couches. Une telle solution fait perdre au procédé son originalité et ses qualités dues à la quadrichromie puisque l on passe par un trichrome soustractif. Mais cette alternative existait et elle consistait à «coucher» directement les quatre images au moyen d une tireuse additive, construite entièrement dans les ateliers de la Société Arco (Appareils Roux de Cinématographie et Optique) et permettait de tirer des copies sur positif Gévacolor ou Eastmancolor. Ceci fut notamment utilisé pour l exploitation à l étranger, ou d un court métrage complément d un long métrage en noir et blanc. Munie de bande cache à quatre trous de lumière, cette tireuse permettait aussi de faire des corrections chromatiques [Fig. xxxix, cahier couleur]. 209 É TUDES 1895 REVUE D HISTOIRE DU CINÉMA n o 71 HIVER 2013
7 Les avantages du procédé Rouxcolor Le terme en lui-même est ambigu dans la mesure où il faut le remettre dans son contexte, c est-àdire avant l utilisation du monopack. Les documents de l époque insistent sur le fait que l ensemble du matériel utilisé est français. Les répercussions sur les tournages des films sont de plusieurs ordres : les caméras sont celles utilisées classiquement sur les tournages, il suffit de leur adjoindre l objectif. Les méthodes de mise en œuvre sont classiques. Les filtres nécessitent une augmentation sensible de la quantité de lumière par rapport à celle d un simple tournage noir et blanc qui reste cependant très en deçà des autres procédés couleur. L équilibrage des couleurs, en fonction de la sensibilité spectrale de l émulsion, est très rapide, un bout d essai développé en cuve sur le lieu de travail permet un contrôle ou un effet de soir ou de nuit par une variation judicieuse des diaphragmes des filtres sélecteurs. Les plans tournés peuvent être montés et projetés très rapidement. Les répercussions sur la postproduction et sur l exploitation des films sont : Le film (négatif et positif) utilisé est de type panchromatique courant à «grain fin» (se dit plus des intermédiaires type marron ou interpositif) pouvant être traité dans tout laboratoire développant le noir et blanc qui ne nécessite aucun développement particulier. Le tirage des copies d exploitation se fait dans les mêmes conditions que pour un film noir et blanc. Les films peuvent être exploités à partir de la pellicule noir et blanc avec l objectif de projection Rouxcolor. La surface consacrée àune image noir et blanc est utilisée pour enregistrer les quatre images identiques quant au dessin, mais qui diffèrent par l intensité des gris, conséquence du filtrage de la lumière colorée lors de la prise de vue. À la projection, les quatre images sont colorées par les filtres de l objectif placés devant chacune des images. On doit ajouter que le nombre total de grains (langage de l époque) ou de pixels (langage actuel) sont les mêmes pour une image d un film noir et blanc ou d un film en Rouxcolor des quatre images et de l objectif de projection Rouxcolor, Les films peuvent être également transférés sur pellicule couleur (de format 1.37). Le premier mode d exploitation, qui n est applicable qu aux salles possédant un équipement de projection non seulement en bon état mais aussi convenablement réglé, présente comme principal avantage d être économique en raison du prix de la pellicule en noir et blanc. Quant au second, plus onéreux en raison du prix de la pellicule couleur, il présente une possibilité de diffusion dans n importe quelle salle non équipée. Rappelons que les supports des films étaient alors en nitrate de cellulose. L exemple d un film Rouxcolor reporté sur Anscocolor montre que les positifs de film soustractifs étaient fragiles. Cependant, ce qui est toutefois marquant pour l époque, c est la qualité colorimétrique du rendu. De plus, la stabilité des couleurs dans le temps semblait quasi inaltérable en regard des autres procédés soustractifs qui souffraient du manque de stabilité des colorants. Des atouts qui, au moment où la conservation du patrimoine et la sauvegarde des archives cinématographiques sont la préoccupation de nombreux chercheurs, se seraient avérés fort précieux
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Modifié 1 fois. Dernière modification le 13/03/23 18:19 par Nestor Burma.