Mon cher JCM.
Tu as grand tort de traiter les lecteurs du forum avec condescendance.
Nous comptons sur toi pour apporter quelque nourriture substantielle à ce forum esthétique. Et nous ne nous décourageons pas.
Le temps et le rythme de ce forum ne sont pas ceux d'un échange de bons mots entre potes.
Ce c'est pas le rythme d'un match d'escrime, où après avoir esquivé une attaque perfide, le bretteur retourne un coup sublime qui fait mouche.
Ici, nous ne vivons pas au rythme d'une joute oratoire, ou après avoir subi une attaque d'un adversaire habile, le rhéteur surclasse son adversaire par un surcroît de bons mots.
Ici sur ce forum, le temps est celui de la lecture et de la réflexion. Cela demande du temps. Donc tu nous annonces que tu pars à l'autre bout de la planète et nous t'en félicitons. Cela donnera à chacun d'entre nous le temps de lire le texte de Walter Benjamin.
Mais au moment où tu boucles tes valises, j'espère que tu auras le temps de lire ce qui suit.
Je récris les deux questions que tu nous poses ; si j'ai bien compris, cela résume, selon toi, la thèse de Walter Benjamin, comme tu le dis toi-même :
Il nous donné comme arguments des exemples qui quoique justifiés en eux-mêmes ne sont pas mis en relations avec la thèse de Benjamin et donc ne prouvent rien.Voici ce que tu nous as dit le 24/7/2014 :
1. Nous sommes devenus pauvres en expérience. tu conviendras qu'il faut plus d'expérience pour faire un tirage baryté que pour faire un selfie.2. nous vivons une nouvelle barbarie que B appelle positive, et qui sous-entend comme le dit la notion d'émergence, on fait table rase du passé. Dans ce sens Descartes est un barbare, et bien des attitudes contemporaines qui font fi du passé et de l'expérience du passé peuvent être dites barbares dans ce sens.Il s'est écoulé 15 jours entre le moment où nous as soumis une masse compacte de texte illisible, et le moment où tu as
condescendu à nous expliquer, un minimum, où tu voulais en venir.
Et tu voudrais que dans les trois jours qui suivent, on t'ait répondu !! Ce n'est pas sérieux !!
Après relecture de l'ensemble des échanges, je m'aperçois que personne n'a cherché à re-situer cette thèse de W.B. dans son contexte historique. Je suis tenace, tu le sais, je ne lâcherai rien sur ce point.
Voilà ce que j'ai cru comprendre.
Allemagne, 1933. W.B., un homme raffiné et de très haute culture, voit l'effondrement de la République de Weimar et prédit la catastrophe effroyable.
Dans cet extrait de livre, à aucun moment il n'est précisé que le champ de cette thèse résumé par JCM selon les points 1. et 2. ci-dessus, s'applique aux arts, en général, ou à la photographie, en particulier. Il s'agit, si j'ai bien compris, d'un constat de l'évolution de la société.
Devant ce constat, W.B. a plus d'intérêt à discuter avec son ami Bertold Brecht que d'aller voir « Blanche Neige & les sept nains » de Disney au cinéma. On peut le comprendre.
Voilà où j'en suis de ma compréhension du contexte historique et politique de ce texte, et à titre personnel, j'en tire les conclusions suivantes, en reprenant ton point de vue.
1. Nous sommes devenus pauvres en expérience.NON. Je conteste ce point de vue.
Je l'admets bien évidemment pour le monde de W.B. en 1933, mais je ne le ressens
absolument pas aujourd'hui.
S'il s'agit de la société en général, tout au contraire, nous n'avons jamais eu autant accès à de la documentation sur le passé, grâce à la numérisation et à la mise à disposition via Internet de tous les documents possibles et imaginables. La libre publication d'ouvrages de toutes sortes est un fait acquis sur lequel il est très difficile de revenir. Même dans Chine que tu connais bien et qu'on n'ose plus appeler « communiste » !
Sans Internet, tu ne serais pas en train de faire tes valises pour la Chine, où tu vas transmettre ton expérience. Tu nous prouves donc, par ton action, que la thèse de W.B. ne s'applique pas !
Certes, la transmission familiale du savoir n'est plus la même qu'autrefois. Entre mon approche d'autodidacte de l'informatique (depuis 1975) et celle de mes enfants qui ont entre 14 et 20 ans, il y a eu très peu de transmission d'expérience, mes enfants n'étant pas, vu les programmes actuels des collèges & lycées, formellement autodidactes.
Tout au plus ai-je bien insisté sur les questions de sécurité, ne jamais stocker les mots de passe sur l'ordi, ne les stocker si possible nulle part et ne jamais répondre à des méls douteux. Sur ce point, je crois que j'ai été entendu ; mais pour l'instant, mes enfants n'ont pas de compte en banque dont ils pourraient, par mégarde, révéler les détails à des escrocs.
Tout au contraire, l'idée même que mes enfants aillent demander à leur père conseil pour un truc informatique ou Internet est pour eux un repoussoir. Mais hors de cet exemple, pour le reste, non, mille fois non, je ne me reconnais pas dans la phrase de Benjamin «
1. Nous sommes devenus pauvres en expérience.» En famille, je n'en finirais pas de citer les expériences que ma femme et moi passons à nos enfants, de la façon la plus libre possible. Chaque fois que mes enfants voient leur grand-père qui a 94 ans, ancien élève de l'École des Chartes, tu peux me croire que des histoires, il s'en raconte, et que les enfants écoutent. Mais j'arrête là cette personnalisation excessive d'un débat qui se voudrait le plus général possible.
Je comprends, en revanche, parfaitement la signification de la thèse de W.B.,
dans le contexte de l'Allemagne des années 1918-1933. J'ai évoqué la « saignée » terrible pour les familles et pour les pays belligérants que fut la guerre de quatorze.
Mais sans doute est-ce une fausse piste ? Vu les liens d'amitié qui unissent W.B. avec Bertold Brecht et les communistes allemands, ne faut-il pas aller chercher une clé d'interprétation du côté de la Révolution russe de 1917, et les années qui suivirent ; où cette non-transmission d'expérience fut
revendiquée par les révolutionnaire, au point de donner à leurs enfants des prénoms qui feraient rupture avec l'ancien régime, exactement comme le firent nos bons révolutionnaires français en supprimant le nom des saints du calendrier pour les remplacer par des noms de fleurs, de fruits et de légumes ?
Tu conviendras qu'il faut plus d'expérience pour faire un tirage baryté que pour faire un selfie.Comparaison n'est pas raison, mais :
1/ L'autoportrait photographique d'amateur a toujours existé, c'est pour cela qu'il y avait des retardateurs sur les Compurs. Le fait que certains hommes lettrés doivent aller chercher un mot anglais pour avoir l'air moins bête, de peur d'être dépassés par la jeunesse, ne change rien à l'affaire. Je ne vois aucune rupture et aucune révolution, tout au plus une
évolution vers plus de commodité dans une activité d'amateur qui n'a aucune raison de se priver des progrès techniques. Le silicium prolonge le négatif couleur, dont bien des familles jetaient les négatifs pour ne garder que les tirages !
Moins riches en expérience sur le dégommage du Compur et la compréhension des finesses de ce terrible échappement du retardateur qui a tendance à coincer ; certes ! Mais
bien plus riches dans l'échange et le partage d'images sur Internet.
Donc sur ce point 1. de la thèse de W.B., je répète :
NON, je ne vois pas du tout cela ni dans la société en général et pas franchement dans la photographie, et évidemment encore moins sur galerie-photo, où
chacun peut télécharger et lire tout ce que tu nous a donné à lire sur le palladium ... et autres textes.2/ Concernant le fait qu'il faut plus d'expérience pour tirer un baryté ou pour un autoportrait à la photocopieuse ou au téléphone portable, j'illustrerai mon point de vue par l'exemple de la vaisselle.
Il faut bien plus d'expérience pour faire une vaisselle à la main correctement que pour charger et lancer un lave-vaisselle. Si on ajoute comme contrainte technique : la même vaisselle à la main en consommant moins d'énergie et moins d'eau que ne le fait le lave-vaisselle, alors oui, pour y arriver il faut une sacrée expérience. Mais l'art de la vaisselle de haut-de-gamme, économe en eau, n'est pas perdu, comme le prouve cette anecdote authentique.
La scène se passe dans un refuge de haute montagne, un de ces nids d'aigle où tout doit être héliporté, dans un pays voisin et ami dont je tairai le nom. La règle en vigueur dans ce refuge est que les alpinistes et les randonneurs ne cuisinent pas eux-mêmes, donc pas de salle dite « hors-sac », mais qu'il donnent au gardien et à son équipe leur nourriture pour la faire chauffer. Ce soir là, l'ambiance est excellente, je ne dirai pas qu'on entend chanter le
Ranz des Vaches, ce serait donner une indication bien trop précise sur le lieu où se passe la scène.
Un petit groupe franchouillard-hexagonal propose sincèrement et gentiment d'aider le gardien et son équipe à faire la vaisselle. Le gardien décline gentiment. Le groupe franchouillard insiste : le gardien ne cède pas. On s'interroge légitimement : mais pourquoi donc, ne pouvons-nous pas vous aider à faire la vaisselle ? Le gardien, laisse alors échapper cette réponse, qui jette un froid :
« Parce que vous ne savez pas faire la vaisselle.»Je ne dévoilerai pas, bien entendu, quels sont les secrets d'une vaisselle bien faite, mais je peux vous dire que cette
expérience si particulière, elle se transmet sans faute de génération en génération, et que, sur certains points, les alpinistes franchouillards apparaissent comme des
barbares ; bien entendu, il est absolument hors de question de laisser faire la vaisselle à des barbares.
« Trouve-t-on encore des gens capables de raconter une histoire ? »
J'espère avoir montré que c'était encore possible. ;-);-);-)
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2. nous vivons une nouvelle barbarie que B appelle positiveNON.Je ne le ressens, ni dans la sociéte au sens large, ni dans la pratique photographique de mes contemporains ; peut-être y a-t-il un peu de cela chez les galeristes qui nous demandent d'explorer, à la lampe frontale, une expo comme à Lascaux ?
Et évidemment je ne ressens cette table rase aucunement dans ma pratique photographique personnelle, mais cele ne compte guère dans ce débat.
Argumentaire, mais pas dans le domaine de la photo : un autre contre-exemple parfaitement actuel et qui nous rapproche du raffinement des arts en nous éloignant de cette activité très manuelle mais si peu créative qu'est la vaisselle à 3000 m d'altitude sur un glacier : les montres mécaniques.
J'en parle parce que je connais ... un peu.
Dans les années septante du siècle dernier, en horlogerie, c'était la révolution, et du passé on avait eu vite fait de faire table rase.
L'honorable manufacture locloise Zénith
MD, vendue à une marque étazunienne du même nom fabriquant des postes de télévision, devait arrêter de fabriquer des montres mécaniques pour faire des bidules électroniques.
Si Walter Benjamin était venu faire un tour au Pays Horloger, comme le fit Bakounine en donnant des conférences à Saint Imier (BE-CH) à la fin du XIX
e siècle, sans doute aurait-il pu mettre en regard sa thèse du barbare reconstructeur à partir de la table rase, avec l'état de l'Industrie horlogère dans l'ensemble de l'arc jurassien franco-suisse dans les années 1970.
J'abrège pour ne pas fatiguer le lecteur : mais vous aurez compris que, certes, l'art de l'horlogerie mécanique devait disparaître sous les coups de boutoir de la modernité incarnée par le silicium triomphant, comme la Russie tsariste devait céder la place à la nouvelle Russie soviétique ; comme l'Allemagne du Kaiser Wilhelm, responsable de la catastrophe de la guerre de quatorze, aurait dû céder la place à quelque chose d'entièrement neuf.
Eh bien il n'en est évidemment rien en horlogerie, il suffit de voir les belles pièces réalisées aujourd'hui par les élèves du BTS horloger au lycée Edgar Faure de Morteau, ch'peux vous dire que l'expérience ne s'est pas perdue, et que si les 144 pages du livre de Walter Benjamin vous semblent un peu minces pour vos lectures d'été, je vous recommande le « Traité de construction horlogère », la Bible Rouge de l'horloger du XXI
e siècle, plus de mille belles pages superbement dactylographiées et illustrées, sans compter, en annexe, le DVD avec des scans complets des bibles horlogères du siècle dernier !
2. nous vivons une nouvelle barbarie que B appelle positive, et qui sous-entend comme le dit la notion d'émergence, on fait table rase du passé.NON, pas chez nous en tous les cas.Dans ce sens Descartes est un barbare, et bien des attitudes contemporaines qui font fi du passé et de l'expérience du passé peuvent être dites barbares dans ce sens.Peut-être.
Tu admettras que le sens donné au mot « barbare » par W.B. est un peu éloigné du sens commun et mérite donc, à tout le moins, une explication de ta part qui est la bienvenue.
W.B. cite Descartes et Einstein.
Pour ce qui concerne Descartes, sur le plan philosophique, tu nous expliqueras en quoi Descartes serait un « barbare » au sens de W.B., mais sur le plan scientifique que je connais un peu mieux, Descartes ne repart
évidemment pas de la table rase ; et cette vision de W.B. ne s'applique absolument pas.
Ce que nous appelons, pour la réfraction optique les « Lois de Descartes » avaient été publiées plus tôt par un autre savant néerlandais du nom de Snellius ou de Snell (1580 - 1626). Dès qu'on sort de France, on ne croise plus que des lois de Snell, et probablement dans les pays ayant subi l'administration napoléonienne, utilise-t-on l'expression « Snell-Descartes ». Et sans oublier, mais je pense que Descartes ignorait ces auteurs anciens, que la loi principale de la réfraction : sin(i) = n sin(r) est expliquée dans des documents du Moyen-âge, à l'époque de l'Àge d'or des mathématiques arabes. On cite en général les noms suivants : Ibn Sahl (940 - 1000) et Ibn Haitam (965 - 1040)
Concernant l'optique, Descartes n'est
évidemment pas un barbare ! Il ne repart absolument pas de la table rase. Il s'appuie sur les mathématiques développées par ses aînés, il explique l'arc en ciel de façon magistrale, certes, mais il le fait en s'appuyant sur les expériences et les mesures que bien d'autres ont faites avant lui.
W.B. cite Albert Einstein. Ce qui est intéressant, parce qu'en 1933, les discussions sur la théorie de la relativité étaient probablement bien plus répandues, que ce soit dans les dîners en ville ou chez les philosophes
(Bergson s'est attaqué aux interprétations philosophiques de la relativité) que dans des cours de BAC+2 expliquant en 2 pages les quelques équations résumant les principes de la relativité restreinte.
Citons W.B. sur ce point probablement anecdotique :
« Einstein aussi était un tel constructeur, qui soudain n'eut plus d'yeux, dans tout le vaste univers de la physique, que pour une infime divergence entre les équations de Newton et les résultats de l'observation astronomique.» C'est une très belle phrase, mais je crains qu'elle ne nous donne une vision un peu trop romantique du travail d'Einstein entre 1900 et 1920. Et donc, historiquement,
parfaitement inexacte.Einstein avait étudié la physique classique, mais il avait plutôt un goût pour la théorie. Son travail, on ne peut plus appliqué, à l'office des brevets à Berne
[je rêve de voir les brevets qu'Einstein a dû examiner, entre le presse-purée suisse-de-précision-innovant, et le procédé permettant, selon Alphonse Allais, de transformer le crottin de cheval en peluche mauve] lui laissait assez de temps pour réfléchir à ses idées novatrices ; mais il devait gagner sa vie en épluchant d'arides documents techniques ; donc l'expression « n'eut plus d'yeux que pour ... », ahem... disons ... oui, du moins pendant les heures de loisir de cet employé zélé.
W.B. cite un résultat qui avait fait grand bruit, c'est à dire la compatibilité des expériences connues sur l'avance du périhélie de Mercure (inexplicable selon la mécanique Newtonienne) avec la théorie de la relativité généralisée (1916). Mais auparavant, Einstein avait consacré son énergie plutôt à une question très formelle
relative (c'est le cas de le dire) aux équations unifiées de l'électromagnétisme, les équations de Maxwell (niveau BAC+2 aujourd'hui). L'article fondateur est de 1905, il est extrêmement ardu, et pour Einstein la question à résoudre était une question purement formelle. On a prétendu qu'il cherchait à expliquer les divergences entre théorie et expérience, en fait il cherchait une formulation cohérente de l'électromagnétisme des corps en mouvement, ce qui déboucha sur la relativité restreinte, puis par un extension effectivemnt géniale et novatrice, sur la relativité généralisée.
Je ne pense certainement pas qu'on puisse dire qu'Einstein est un barbare au sens de W.B., il ne repart absolument pas de la table rase, puisque son article fondateur de 1905 s'appuie, tout au contraire, sur l'énorme masse de travail accompli par l'ensemble des physiciens et des mathématiciens (certains outils mathématiques furent forgés en parallèle du développement des théories physiques) travaillant dans le domaine de l'électricité et du magnétisme depuis le XVIII
e siècle !
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Je crois que je vais arrêter là pour l'instant et
souhaiter bon voyage en Chine à JCM !J'espère avoir répondu aux défis que JCM nous a lancés :
1/ Lire le texte de W.B. : c'est fait
2/ Répondre et argumenter à W.B. et JCM : je pense l'avoir fait.
3/ Accessoirement, raconter des histoires, juste pour contredire W.B. : si je ne l'ai pas encore fait de façon satisfaisante, j'ai de la réserve, il suffit de me solliciter.
(à suivre)
E.B.Modifié 1 fois. Dernière modification le 25/07/14 13:49 par Emmanuel Bigler.